« Le biocarburant est une industrie criminelle »
Fabrice Nicolino : « Dans les pays pauvres, 75 % du revenu des habitants est consacré à l'alimentation. Si le prix de l'alimentation double, c'est la catastrophe, ils n'ont pas d'échappatoire. » : DR.
Votre livre « La faim, la bagnole, le blé et nous : une dénonciation des biocarburants » est sorti en octobre 2007, avant que l'on ne commence à parler de lien entre crise alimentaire et les biocarburants. Comment avez-vous mené votre enquête ?
Le point de départ a été une espèce d'interrogation personnelle et morale. Selon les chiffres des Nations unies, il y a 850 millions d'affamés chroniques dans le monde, et nous, nous utilisons les céréales pour faire rouler nos voitures.
Comment expliquez-vous qu'on nous ait présenté les biocarburants comme une solution contre la pollution ?
Dans de nombreux pays, on a une surproduction de céréales. On a, alors, relancé une vieille idée qui date de la fin du XIXe siècle : les utiliser pour faire rouler les voitures. À cette époque, cela n'avait pas été retenu, car le pétrole ne coûtait rien.
Aujourd'hui, on ressort cette idée. Sur la base d'études très discutables, poussées par des lobbies de l'agriculture industrielle, on a commencé à raconter qu'utiliser les biocarburants était bon pour le climat, pour la qualité de l'air. En parallèle, des études pointant les effets néfastes étaient publiées dans des revues internationales, signées de grands noms comme l'Allemand Hartmut Michel, prix Nobel de chimie.
Jean Ziegler, le rapporteur spécial des Nations-Unies pour le droit à l'alimentation, dit que « la fabrication de biocarburants est aujourd'hui un crime contre l'humanité ». Êtes-vous d'accord ?
C'est une évidence, même si cette expression est lourde de sens. Le biocarburant est une industrie criminelle. On est en fait en train d'affamer la planète, et de créer une concurrence entre les terres agricoles.
Aux États-Unis, avant, le maïs servait à l'alimentation, il était en partie exporté. Aujourd'hui, les Américains consacrent 30 % de leur production aux biocarburants, qui sont hautement subventionnés, et n'exportent quasiment plus.
Cela a déclenché la montée des prix, et la spirale de la crise alimentaire. Dans les pays pauvres, 75 % du revenu des habitants est consacré à l'alimentation. Si le prix de l'alimentation double, c'est la catastrophe, ils n'ont pas d'échappatoire.
Quelles sont les conséquences sur la crise climatique ?
Les biocarburants sont une bombe climatique. Prenons l'exemple de l'Indonésie, où les biocarburants sont extraits des palmiers à huile. Les terres des forêts tropicales sont brûlées, les souches des arbres sont arrachées, les palmiers à huile peuvent alors être plantés. Cela a un effet désastreux.
En Asie du Sud-Est, ces forêts sont aussi le dernier refuge des orangs-outangs, qui sont du coup directement menacés de disparition. Beaucoup de gens ont d'abord perçu l'arrivée des biocarburants comme une solution face à la crise climatique. Maintenant que l'on découvre les effets néfastes, la machine est lancée, et plus personne ne sait comment l'arrêter.
Recueilli par
Naëlle LE MOAL.
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